L'électronique
Japonaise
Parmi la
vague des électroniciens Japonais contemporains des scènes
indépendantes, on peut dégager grossièrement quatre
grands courants, dont les deux premiers empruntent à l'esthétique
occidentale. Une première école est née de la vague
"planante" qui emprunte ses envolées lyriques et krautrock à
Tangerine Dream, Klaus Schulze (on pense par exemple à Dada, Magical
Power Mako pour les années 80s - sorti sur le label Belle Antique
- ou Bambi Synapse et Convex Level pour les 90s sortis sur le label Green
Records) ou qui verse dans une violence relative dûe aux tensions
de guitares Frippiennes comme le fait le groupe Heretic, surnommé
de façon hâtive le "Heldon japonais". Une deuxième
tendance est à localiser dans les courants intelligent-techno et
electronica actuels avec des groupes le plus souvent tokyoïtes qui
alternent le meilleur (Arrow Tour, superbe "unit" qui reprend et inverse
les codes d'Eno et du Miles Davis de "Get Up with it", sorti sur Creativeman
discs) et le pire avec surabondances d'effets bon marché (Hoi Voodoo,
Asteroid Desert Songs , Kimitaka Matsumae, ...) et non-indentité
musicale flagrante.
Sans
aucun doute, les deux courants électroniques suivants sont à
la fois les plus radicaux et les plus difficiles d'accès: l'école
du Sampling et celle Japanoise. Ce que l'on nomme "Sampling Approach" regroupe
en son sein toute un vague de musiciens japonais qui utilisent pour la
première fois le sample comme un instrument musical à part
entière et qui le placent au centre de leur préoccupation
musicales et sociales. Le sample est un "virus" comme le dénomme
le chef de file de cette école, Otomo Yoshihide qui avec son groupe
Ground Zero et ses nombreux projets solo a su se forger une réputation
musicale internationale dans les milieux de la musique improvisée,
du rock déconstruit et du jazz-core et a théorisé
l'usage du sample, notamment avec sa trilogie-brulôt Consume qui
consacre le sample comme véritable instrument musical Proudhonien:
"le sample c'est le vol du copyright".
L'école
Japanoise porte quant à elle bien son nom: du noise Japonais, examplifié
par des groupes comme Aube, Merzbow, Violent Onsen Geisha, Hijokaidan,
MSBR, Kazumoto Endo, Jojo Hirogishe pour ne citer que la partie la plus
visible et connue de l'iceberg. En simplifiant, disons que ces groupes-solo
(que l'on peut nommer "unit") se distinguent par leur refus quasi- nihiliste
de théoriser la musique, leur aspiration à refléter
"la surinformation du Japon d'après guerre" par des devices électroniques
divers et... très bruyants.
Tetsuo Furudate
Dans
cet échiquier assez grossier et schématique, on aura beacoup
de peine à placer Tetsuo Furudate, musicien électronicien
passioné de cinémas "nouvelle vague" (il a débuté
par des courts métrage et des travaux photos) et de philosophie.
Ecole musicale à lui seul - ce qui est peut-être le propre
des artistes originaux - Furudate évolue entre musique contemporaine
électronisée, Japanoise épuré et électronica
aggresive. Au contraire des musiciens Japanoise, Furudate distille ses
albums et présente une discographie peu conséquente mais
égale en qualité. Ce qui l'éloigne encore plus du
courant Japanoise est aussi la volonté de ce musicien de ne pas
nier toute qualité intellectuelle à la musique, empruntant
divers items littéraires et philosophiques comme des lignes de fuites
apportant un sens autre à sa musique, en témoignent les titres
de ses albums "L'arrêt de mort", "Macbeth", "Autrement qu'être"
d'Emmanuel Levinas ou "World as Will" de Schopenhauer . En ce point là
au moins, on pourrait comparer Furudate à Richard Pinhas, ce qui
serait à la fois absurde d'un point de vue musical, mais réel
du point de vue de la démarche personnelle.
Furudate
est un musicien seul, qui s'accompagne d'invités musicaux pour composer
une musique changeante et déroutante. On sent beaucoup d'inflexions
post-classiques dans "Macbeth" qui apparaît à postériori
comme un condensé des aspirations du musicien: théâtre
musical qui ne sombre jamais dans l'emphase, la musique emprunte tout autant
au Japanoise radical (Merzbow signe un sample de 5 minutes dans l'album),
qu'à la musique contemporaine (la couleur musicale de l'ensemble,
cette "lente progression du désir et du plaisir" musical qui n'est
pas si loin d'Art Zoyd) ou qu'aux électronicas actuelles ethniques
(cf. la présence de Juri, un des membres du duo électronique
"Juri et Lisa" très proche de Dead Can Dance - ed. SSE communication).
Tandis que l'aspect de musique contemporaine est plus évident encore
sur "Autrement qu'être", sur "L'arrêt de mort" et sur le tout
récent "World as will" où l'on voit Furudate accompagné
de Zbigniew Karkoswki et d'un ensemble à corde, la toute dernière
production où l'électronicien japonais est accompagné
du bassiste/ violoncelliste contemporain français Kasper Toeplitz
est plus axée vers un psychédélisme tordu cher à
Keiji Haino et ses nombreux projets (Vajra, Ninjumu, Fushitsusha - ed.
PSF records).
Les compositions
de Furudate pourraient être résumées ainsi: un line-up
souvent réduit à l'essentiel, de longues suites en progression
et mouvance constantes, un travail essentiellement axé sur les textures
musicales et la gestion de l'espace sonore, des ambiances tendues et marquées
par la noirceur de l'assaut d'une guitare électrique et une sobriété
à toute épreuve pour une musique profondément urbaine
et ancrée dans une forte culture philosophique et littéraire
contemporaine. Furudate a dans ses projets immédiats un titre nommé
"La Jetée" (où il évolue sur des samples du célèbre
film de Chris Marker) pour le Cd accompagnant le livre des "Musiques Japonaises
Indépendantes des années 90" à publier par Musea fin
98, encyclopédie recensant de plus de 500 groupes musicaux Japonais
des scènes électroniques, improvisées, rock progressif
et musiques nouvelles. Un des nombreux avantages présenté
par Furudate étant d'avoir des albums facilement disponibles en
France (via les magasins Wave), profitez en pour découvrir une des
figures les plus énigmatiques et brillantes d'une certaine musique
Japonaise.
Discographie:
"L'arrêt de mort" (SSE
communications 8005) 1992 avec Sato Yasuo et Kitamura Masashi
"Macbeth" (SSE communications)
1994 avec Yoshida Tatsuya, Merzbow, Juri et Lisa
"Autrement qu'être" (Les
Disques du Soleil et de l'Acier 54050) 1995 avec Pneuma
"World as Will" (Staalplat)
1998 avec Zbigniew Karkowski
"Neon Green" (Les Disques du
Soleil et de l'Acier 54060) 1998 avec Kasper Toeplitz
Compilation:
1 titre
live de Macbeth sur "Blank Tapes" (SSE communications 4025) 1993 avec Yoshida
Tatsuya, Pneuma, Juri
1 titre
inédit (La Jetée) sur "Musiques Japonaises indépendantes
des années 90s", à paraître sur Musea fin
1998
Jerome Schmidt
interview
retour au pli de la vague