22/08
9h30, aeroport. Ca faisait une heure que je parcourais
l'aeroport d'un pas rapide, soutenu. A la recherche de rien en particulier,
excepte ne pas m'endormir. l'impression de Fast Forward.
Et quelle nuit je viens de passer! Merveilleux! La cassette
oubliee du pire Fred Frith en boucle douce, mes fenetres toutes enormement
ouvertes sur la nuit brune de la ville, les bombyx affoles et le vent frais.
J'etais bien, l'instant etait bon. J'ai vu le lever du jour calme. Rise
of the day. J'ai un peu pense aux gens que j'avais rencontres cet ete,
comme une agreable decouverte, legerete chaleureuse. Toujours cette rage
joyeuse qui me ferait hurler depuis le balcon a l'ete, que je sens
en influx instantannes me parcourir avec rage, avec joie, m'infuser, m'influer.
Je me sens reelement transitoire, sans description intellectuelle, veritablement
un flot qui me transperce.
13h Frankfurt. Salle glauque, attente du vol pour Tel
Aviv. Pas de questions cette fois-ci. "Can you take a picture?" "Sure,
smile.." "no no" air affole du flic-fouilleur de backpack, "You smile!".
Parcours du corps au detecteur de metaux et aux mains de la flickesse rayon
ladies. Une bonne heure a attendre ce putain de vol dans l'espace "zones
sensibles". Tiens, le combine du telephone est fushia. C'est totalement
surrealiste cet endroit. Il y a une petite fille rousse ecarlate, peau
forcement laiteuse, elle est belle! Mais elle hurle. Envie de dire a toute
la flicaille impassiblement ennuyee qu'ils auront beau me tater, me peser,
me parcourir en entier de detecteurs, de mains, rien n'y fera. Dans environ
5- 6h , je serai a Tel Aviv. La ville ou tout est possible, ain't it?
23/08
Nous avons roule avec Michel, directement depuis Tel
Aviv jusqu'a Eilat. La route traverse entierement le Negev, meme
la nuit tombee, je le sens tout autour, mon premier desert.
De plus en plus Las-Vegas-esque, Eilat kitchissime mirage
vomissant les palmiers plastiques et les tubes fluorescents pour une journee
avant le Sinai.
Passage de la frontiere nocturne, pas facile de trouver
un taxi pour aller a Diuna.
Sur la plage, aucun bruit ou presque, un chien decide
de ne plus nous quitter, je trouve deux chatons, forcement fondants. On
discute, au bord de l'eau, j'y crois a peine. Bien-sur incapable
de dormir. Le sable, le jour qui se leve sur la Jordanie, la mer (he oui!)
rouge sous l'aube, flash bleue le reste du temps. Sur la plage, des teepees-maisonnettes
pourries de palmes, des israeliens principalement, tous encore completement
pleins d'herbe, des bedoins qui vendent du the et du cafe (ma seule nourriture
ici ou quasiment) et surtout de quoi fumer aux jeunes venus s'exploser
la tete pour 2 jours. Pas vraiment mon intention, mais je ne connais pas
de meilleur somnifere et j'ai grand besoin de dormir.
2 jours a plonger masque en tete, voir les poissons jolis
et le corail beau. Paniquer devant le grand trou noir des profondeurs subites.
Boire du cafe, fumer, discutailler avec la faune locale et passablement
sereine. Retourner dans le bleu, etre bien certaine que les poissons ont
vraiment toutes ces couleurs et toutes ces formes.
Michel doit rentrer, moi c'est decide, je vais a Sainte
Catherine, voir le soleil se lever depuis le mont Sinai.
Un jour, le 25/08 par exemple.
I'm on a road to nowhere.
Je suis a la jonction de la route pour Ste Catherine
et de celle de Nuweiba-Dahab. Pres d'une espece de poste de je ne sais
quoi de militaires enmoustaches qui jouent a chech-bech en me regardant,
avec mon chapeau a la Laura Ingalls ecrire mes memoires sensitives du desert.
Oui, je suis paumee au milieu du Sinai, il y a des bidons blancs et bleus,
des carcasses de voitures et tout un sacre desert de montagnes pierreuses
(et uniquement pierreuses). Apres l'escale "'haar'hi" babos de Diuna, ce
qui me fait penser que j'ai de l'herbe dans ma poche et qu'il y a des flics
juste en face de moi. I'm on a road to nowhere. J'ai la chanson des Talking
heads in my head et je me sens plutot excellement bien, au milieu du desert,
wahou.
26/08
Les mots me manquent, les bras m'en tombent et mes pieds
sont broyes. Comment raconter cette epopee surrealiste!
J'etais donc a la jonction pour Santa Katharina quand
un taximan s'arrete pour me proposer pour un prix correct de m'emmener
a Dahab avec les gens qu'il a deja et ensuite me conduire a Ste Catherine.
La route jonction - Dahab est magnifique, montagnes et aussi dunes de sable.
Retour en sens inverse, mini-embrouilles avec Said le chauffeur sur ce
que je dois dire aux flics s'ils me questionnent ( je n'ai rien compris
du pourquoi comment ).
1er arret: Wadi Hassala. La vue est epoustouflante: gouffre
sablonneux. Il me dit qu'il y a un lac derriere (meme en ete, je lui fais
preciser).
2nd arret: beduin campment. "I would like to smoke grass!"
dixit Said. "But I have grass!"
Voila, le premier joint entre deux parois trouees du
desert, refuge d'oiseaux. En partant, je vois un serpent, se mouvoir de
cette facon illusioniste sur un rocher et disparaitre dans le sable. The
au campement.
3ieme arret. Le pire c'est que je ne comprends rien du
programme qu'il elabore. Nous sommes dans un autre camps bedoin.
J'y vois des femmes, ce qui est assez neuf. (et encore un sourd-muet aussi),
une vieille voilee jusqu'au nez, et je me demande bien comment elle va
fumer sa cigarette. M'a l'air d'une maitresse-femme. et une assez jeune
fille au regard fuyant qui s'occupe des chevres.
Palabres interminables, nous reprenons la voiture, munis
d'engins de bouffe divers et du sourd-muet (edente et fort sympathique
d'ailleurs). Quelques metres de route, puis chemin caillouteux qui me fait
prier pour la 604 deglinguee, et arret au milieu de nulle part. Preparatifs
du feu et de la nourriture (pois chiches of course).
Je ne sais toujours pas grand'chose du programme. Ok,
je commence un peu a m'inquieter, mais il ne cesse de rouler joint sur
joint de cette merveilleuse herbe bedoine. Je ne sais pourquoi nous devons
attendre si longtemps alors que les pois chiches (en boite) reduisent,
mijotent sur le feu, techno pas si mauvaise a fond depuis l'autoradio (k7
offerte par d'amicaux clients). Un autre bedoin arrive, un sac plein d'herbe.
Je comprends enfin le programme: diner (on attend ces
pitas delicieuses, chaudes moelleuse et craquantes par endroit), il veut
dormir jusqu'a minuit (ben oui, il peut pas conduire quand il fume.. ha
bon?) et apres, apres il m'emmenera a Sainte Catherine. Ca me parait quand
meme un peu etrange qu'il me raconte que tout le monde monte a Sainte Catherine
vers 1h du matin. Autant dire que je commence serieusement a flipper.
Il installe tapis et couverture, le ciel est proprement
incroyable. Je n'ai jamais rien vu de tel. La lune n'est pas encore levee,
la voie lactee (ils l'appellent Tamar !), c'est d'une beaute a couper le
souffle.
Enfin, un peu avant minuit, nous repartons. Il cache
l'herbe au pied d'un poteau indicateur de tournant dangereux. Controle
de police "French?" "Bienvenue dans le Sinai!" large sourire etc..
Arrivee au pieds de Ste Catherine. Il me dit d'attendre
qu'un groupe monte pour aller avec eux. Ce seront de jeunes allemands.
Et c'est parti. Pas si dur que ca au debut. Nous allons a tres vive allure,
depassant tout le monde, au milieu des chameaux. C'est un chemin plutot
abrupte, pas vraiment net, disons extremement gros-caillouteux, un immense
ebouli en quelques sortes. La lumiere des etoiles, et a present de la Lune.
Malgre l'effervescence tout autour, malgre l'effort, c'est revitalisant.
C'est une ascension joyeuse et interminable. Les vieux riches se font transporter
en chameaux. Pas mal de jeunes, une troupe genre scouts israeliens (religieux),
une troupe genre jeunes recrues, egyptiens. La difficulte de la chose nous
epargne l'insupportable espece de touristes americains qui va en grandes
pompes et tuniques blanches se faire (re-)baptiser dans le Jourdain pour
leur "Holy Land Tour" (les memes qui portent une vraie fausse couronne
d'epine pour faire la Via Dolorosa a Jerusalem, on ne s'en lassera jamais).
Il y a periodiquement des stands a cafe/the/pellicules photo/piles/cartes
postales cornees/beaux bijoux bedoins/ou tout ce dont tu peux rever
a 2heures du matin en montant le Sinai. Des momes courrent bien-sur au
milieu de tout ca, desesperement a l'aise, portant sacs et couvertures
a qui n'en peut plus et s'en offre le luxe. On me parle d'un vague projet
de funiculaire ou de route pour permettre un acces aise, et reglementer
tout ce commerce, c'est a dire exactement le faire passer de nomadique
a etatique. De l'authentique clinquant bedoin pour backpackers qui aiment
en chier, a l'authentique infrastructure clinquante rapidement decrepie
pour les sus-cites touristes americains.
L'arrivee aux marches me fait esperer le sommet rapidement.
Et le plus dur debute. Harrassant. Pas d'autre mot. Ces marches me tuent.
J'ai pas dormi depuis combien de temps?
Une petite revanche mesquine, les chameaux ne montent
pas les marches. et toc.
Le sommet. Tant bien que mal, je me faufile sur un rocher
au bord. Les gens affluent de partout, plus ou moins tranquilles. Je m'engouffre
dans un teepee serviette de plage, indispensable serviette une fois de
plus. Je meurs de froid. Le ciel est toujours aussi fantastique et la lumiere
de la lune n'eteind pas celle des etoiles. 2h a attendre que le soleil
se leve environ, a grelotter, a maudire tous ces autres qui m'entourent
et sont venus partager la meme illumination.
Et voila. La lueur, lentement, au loin. En meme temps,
la rumeur ici tout autour. C'est merveilleux de voir cette separation entre
le jour et la nuit. La lumiere envahit peu a peu une bande horizontale
au dessus des montagnes d'Arabie, rouge par endroits, un degrade tellement
subtil et local. Le jour, la nuit, entre les deux un bandeau de lumiere
blanche, de lumiere bleue, de lumiere rouge.
(Orr Orr Orr! De la lumiere de la lumiere de la lumiere! En Kerem Orr!)
Petit a petit les bandes de montagnes s'eclairent. La
mer, a peine distingable, pleine vue sur le golf d'Eilat-Aquaba, tres loin,
un pur miroir ebloui, rouge et argent. Des vagues de montagnes, dont chaque
ligne s'eclaire consecutivement. C'est un veritable passage de temoin,
de la nuit au jour. Le deferlement calme des cretes pierreuses. Bien sur
les gens cliquent et claquent dans tous les sens, dans la meme direction,
s'apostrophent, s'embrassent ou s'engueulent.
Un peu plus tard, bu un cafe degueu mais necessaire,
en me rechauffant sous le soleil, avide. Le plus gros des "pelerins" est
parti. Je discute avec quelques francais, adorables, partis pour un mois
tourner dans toute l'Egypte, et des suedois plutot sympas qui ont fait
leurs etudes a Genoble. Une sorte de vie routiniere et completement hallucinante
pour moi se met en place. Qui des bedoins vient ravitailler le p'tit boui
boui du haut, avec femmes pleines de foulards et enfants piaillants qui
tiennent la main de quelques moines venus du monastere de Sainte Catherine
en bas, barbus tres beaux, tres sombres et souriants, et en face de moi,
des israeliens avec tout l'attirail de ficelles et boite (?) sur le front
lisant la priere. Peux pas m'en empecher, je tente l'ultime photo-symbole,
a main levee sans trop oser.
Je vais finir, une fois vraiment rechauffee par redescendre
avec les francais de tout a l'heure. Plus facile que la montee, mais tout
de meme, surtout apres une autre nuit blanche, ne pas deraper.. ai discute
avec un egyptien accompagnateur du fameux groupe de jeunes recrues. Il
a fait une partie de ses etudes a Paris. Me dit qu'il veut travailler pour
son pays maintenant. Le patriotisme de rigueur. Comment ne pas avoir la
foi, foi en ce lieu, foi en soi, quand on vient de voir le soleil se lever
sur le desert ? Facile (retourner illico a Eilat...).
Visite express des parties visitables du monastere (vieilles
Bibles) et je retombe comme par enchantement sur Said qui devait effectivement
peut etre m'attendre mais pas sur (nuit dans la voiture), avec deja 3 israeliens
sur la banquette arriere , tous en route vers la frontiere (fameuse Taba
pour ses rencontres au sommet), tous plus ou moins la tete dans le cul.
Said essaie de me convaincre de passer 2 jours chez des amis Bedoins a
lui sur une autre plage du style Diuna, pour fumer l'herbe qu'il a achete
la veille. Tentant, mais non. Trop fatiguee, pas le temps. Il me semble
avoir plus ou moins promis de revenir l'annee prochaine. Ouai, en tous
cas, j'y crois moi, dur comme fer.
Le passage de frontiere se fait avec une facilite deconcertante
(pour moi). Une fois de plus, de l'utilite d'un passeport francais en Egypte.
Et donc retour a Eilat, sa fameuse gare routiere, ses hotels impensables,
ses galeries marchandes etc.. 4 heures a attendre mon bus pour Jerusalem.
Douche intensement bonne aux trucs publics de la plage
publique. Baignade, soleil sur la plage sur-peuplee. Car. Beau trajet
qui passe par l'est du Negev pour ensuite longer la mer morte. Arrivee
a Jerusalem, accueillie par Michel.
retour au pli de
la vague