derniere semaine d'aout 1997. Sinai.

22/08
9h30, aeroport. Ca faisait une heure que je parcourais l'aeroport d'un pas rapide, soutenu. A la recherche de rien en particulier, excepte ne pas m'endormir. l'impression de Fast Forward.
Et quelle nuit je viens de passer! Merveilleux! La cassette oubliee du pire Fred Frith en boucle douce, mes fenetres toutes enormement ouvertes sur la nuit brune de la ville, les bombyx affoles et le vent frais. J'etais bien, l'instant etait bon. J'ai vu le lever du jour calme. Rise of the day. J'ai un peu pense aux gens que j'avais rencontres cet ete, comme une agreable decouverte, legerete chaleureuse. Toujours cette rage joyeuse qui me ferait hurler depuis le  balcon a l'ete, que je sens en influx instantannes me parcourir avec rage, avec joie, m'infuser, m'influer. Je me sens reelement transitoire, sans description intellectuelle, veritablement un flot qui me transperce.
13h Frankfurt. Salle glauque, attente du vol pour Tel Aviv. Pas de questions cette fois-ci. "Can you take a picture?" "Sure, smile.." "no no" air affole du flic-fouilleur de backpack, "You smile!". Parcours du corps au detecteur de metaux et aux mains de la flickesse rayon ladies. Une bonne heure a attendre ce putain de vol dans l'espace "zones sensibles". Tiens, le combine du telephone est fushia. C'est totalement surrealiste cet endroit. Il y a une petite fille rousse ecarlate, peau forcement laiteuse, elle est belle! Mais elle hurle. Envie de dire a toute la flicaille impassiblement ennuyee qu'ils auront beau me tater, me peser, me parcourir en entier de detecteurs, de mains, rien n'y fera. Dans environ 5- 6h , je serai a Tel Aviv. La ville ou tout est possible, ain't it?

23/08
Nous avons roule avec Michel, directement depuis Tel Aviv jusqu'a Eilat. La route traverse entierement le Negev,  meme la nuit tombee, je le sens tout autour, mon premier desert.
De plus en plus Las-Vegas-esque, Eilat kitchissime mirage vomissant les palmiers plastiques et les tubes fluorescents pour une journee avant le Sinai.
Passage de la frontiere nocturne, pas facile de trouver un taxi pour aller a Diuna.
Sur la plage, aucun bruit ou presque, un chien decide de ne plus nous quitter, je trouve deux chatons, forcement fondants. On discute, au bord de l'eau, j'y  crois a peine.  Bien-sur incapable de dormir. Le sable, le jour qui se leve sur la Jordanie, la mer (he oui!) rouge sous l'aube, flash bleue le reste du temps. Sur la plage, des teepees-maisonnettes pourries de palmes, des israeliens principalement, tous encore completement pleins d'herbe, des bedoins qui vendent du the et du cafe (ma seule nourriture ici ou quasiment) et surtout de quoi fumer aux jeunes venus s'exploser la tete pour 2 jours. Pas vraiment mon intention, mais je ne connais pas de meilleur somnifere et j'ai grand besoin de dormir.
2 jours a plonger masque en tete, voir les poissons jolis et le corail beau. Paniquer devant le grand trou noir des profondeurs subites. Boire du cafe, fumer, discutailler avec la faune locale et passablement sereine. Retourner dans le bleu, etre bien certaine que les poissons ont vraiment  toutes ces couleurs et toutes ces formes.
Michel doit rentrer, moi c'est decide, je vais a Sainte Catherine, voir le soleil se lever depuis le mont Sinai.

Un jour, le 25/08 par exemple.
I'm on a road to nowhere.
Je suis a la jonction de la route pour Ste Catherine et de celle de Nuweiba-Dahab. Pres d'une espece de poste de je ne sais quoi de militaires enmoustaches qui jouent a chech-bech en me regardant, avec mon chapeau a la Laura Ingalls ecrire mes memoires sensitives du desert. Oui, je suis paumee au milieu du Sinai, il y a des bidons blancs et bleus, des carcasses de voitures et tout un sacre desert de montagnes pierreuses (et uniquement pierreuses). Apres l'escale "'haar'hi" babos de Diuna, ce qui me fait penser que j'ai de l'herbe dans ma poche et qu'il y a des flics juste en face de moi. I'm on a road to nowhere. J'ai la chanson des Talking heads in my head et je me sens plutot excellement bien, au milieu du desert, wahou.

26/08
Les mots me manquent, les bras m'en tombent et mes pieds sont broyes. Comment raconter cette epopee surrealiste!
J'etais donc a la jonction pour Santa Katharina quand un taximan s'arrete pour me proposer pour un prix correct de m'emmener a Dahab avec les gens qu'il a deja et ensuite me conduire a Ste Catherine. La route jonction - Dahab est magnifique, montagnes et aussi dunes de sable. Retour en sens inverse, mini-embrouilles avec Said le chauffeur sur ce que je dois dire aux flics s'ils me questionnent ( je n'ai rien compris du pourquoi comment ).
1er arret: Wadi Hassala. La vue est epoustouflante: gouffre sablonneux. Il me dit qu'il y a un lac derriere (meme en ete, je lui fais preciser).
2nd arret: beduin campment. "I would like to smoke grass!" dixit Said. "But I have grass!"
Voila, le premier joint entre deux parois trouees du desert, refuge d'oiseaux. En partant, je vois un serpent, se mouvoir de cette facon illusioniste sur un rocher et disparaitre dans le sable. The au campement.
3ieme arret. Le pire c'est que je ne comprends rien du programme qu'il elabore.  Nous sommes dans un autre camps bedoin. J'y vois des femmes, ce qui est assez neuf. (et encore un sourd-muet aussi), une vieille voilee jusqu'au nez, et je me demande bien comment elle va fumer sa cigarette. M'a l'air d'une maitresse-femme. et une assez jeune fille au regard fuyant qui s'occupe des chevres.
Palabres interminables, nous reprenons la voiture, munis d'engins de bouffe divers et du sourd-muet (edente et fort sympathique d'ailleurs). Quelques metres de route, puis chemin caillouteux qui me fait prier pour la 604 deglinguee, et arret au milieu de nulle part. Preparatifs du feu et de la nourriture (pois chiches of course).
Je ne sais toujours pas grand'chose du programme. Ok, je commence un peu a m'inquieter, mais il ne cesse de rouler joint sur joint de cette merveilleuse herbe bedoine. Je ne sais pourquoi nous devons attendre si longtemps alors que les pois chiches (en boite) reduisent, mijotent sur le feu, techno pas si mauvaise a fond depuis l'autoradio (k7 offerte par d'amicaux clients). Un autre bedoin arrive, un sac plein d'herbe.
Je comprends enfin le programme: diner (on attend ces pitas delicieuses, chaudes moelleuse et craquantes par endroit), il veut dormir jusqu'a minuit (ben oui, il peut pas conduire quand il fume.. ha bon?) et apres, apres il m'emmenera a Sainte Catherine. Ca me parait quand meme un peu etrange qu'il me raconte que tout le monde monte a Sainte Catherine vers 1h du matin. Autant dire que je commence serieusement a flipper.
Il installe tapis et couverture, le ciel est proprement incroyable. Je n'ai jamais rien vu de tel. La lune n'est pas encore levee, la voie lactee (ils l'appellent Tamar !), c'est d'une beaute a couper le souffle.
Enfin, un peu avant minuit, nous repartons. Il cache l'herbe au pied d'un poteau indicateur de tournant dangereux. Controle de police "French?" "Bienvenue dans le Sinai!" large sourire etc..
Arrivee au pieds de Ste Catherine. Il me dit d'attendre qu'un groupe monte pour aller avec eux. Ce seront de jeunes allemands. Et c'est parti. Pas si dur que ca au debut. Nous allons a tres vive allure, depassant tout le monde, au milieu des chameaux. C'est un chemin plutot abrupte, pas vraiment net, disons extremement gros-caillouteux, un immense ebouli en quelques sortes. La lumiere des etoiles, et a present de la Lune. Malgre l'effervescence tout autour, malgre l'effort, c'est  revitalisant.  C'est une ascension joyeuse et interminable. Les vieux riches se font transporter en chameaux. Pas mal de jeunes, une troupe genre scouts israeliens (religieux), une troupe genre jeunes recrues, egyptiens. La difficulte de la chose nous epargne l'insupportable espece de touristes americains qui va en grandes pompes et tuniques blanches se faire (re-)baptiser dans le Jourdain pour leur "Holy Land Tour" (les memes qui portent une vraie fausse couronne d'epine pour faire la Via Dolorosa a Jerusalem, on ne s'en lassera jamais).   Il y a periodiquement des stands a cafe/the/pellicules photo/piles/cartes postales cornees/beaux bijoux bedoins/ou  tout ce dont tu peux rever a 2heures du matin en montant le Sinai. Des momes courrent bien-sur au milieu de tout ca, desesperement a l'aise, portant sacs et couvertures a qui n'en peut plus et s'en offre le luxe. On me parle d'un vague projet de funiculaire ou de route pour permettre un acces aise, et reglementer tout ce commerce, c'est a dire  exactement le faire passer de nomadique a etatique. De l'authentique clinquant bedoin pour backpackers qui aiment en chier, a l'authentique infrastructure clinquante rapidement decrepie pour les sus-cites touristes americains.
L'arrivee aux marches me fait esperer le sommet rapidement. Et le plus dur debute. Harrassant. Pas d'autre mot. Ces marches me tuent. J'ai pas dormi depuis combien de temps?
Une petite revanche mesquine, les chameaux ne montent pas les marches. et toc.
Le sommet. Tant bien que mal, je me faufile sur un rocher au bord. Les gens affluent de partout, plus ou moins tranquilles. Je m'engouffre dans un teepee serviette de plage, indispensable serviette une fois de plus. Je meurs de froid. Le ciel est toujours aussi fantastique et la lumiere de la lune n'eteind pas celle des etoiles. 2h a attendre que le soleil se leve environ, a grelotter, a maudire tous ces autres qui m'entourent et sont venus partager la meme illumination.
Et voila. La lueur, lentement, au loin. En meme temps, la rumeur ici tout autour. C'est merveilleux de voir cette separation entre le jour et la nuit. La lumiere envahit peu a peu une bande horizontale au dessus des montagnes d'Arabie, rouge par endroits, un degrade tellement subtil et local. Le jour, la nuit, entre les deux un bandeau de lumiere blanche, de lumiere bleue, de lumiere rouge.

(Orr Orr Orr! De la lumiere de la lumiere de la lumiere! En Kerem Orr!)

Petit a petit les bandes de montagnes s'eclairent. La mer, a peine distingable, pleine vue sur le golf d'Eilat-Aquaba, tres loin, un pur miroir ebloui, rouge et argent. Des vagues de montagnes, dont chaque ligne s'eclaire consecutivement. C'est un veritable passage de temoin, de la nuit au jour. Le deferlement calme des cretes pierreuses. Bien sur les gens cliquent et claquent dans tous les sens, dans la meme direction, s'apostrophent, s'embrassent ou s'engueulent.
Un peu plus tard, bu un cafe degueu mais necessaire, en me rechauffant sous le soleil, avide. Le plus gros des "pelerins" est parti. Je discute avec quelques francais, adorables, partis pour un mois tourner dans toute l'Egypte, et des suedois plutot sympas qui ont fait leurs etudes a Genoble. Une sorte de vie routiniere et completement hallucinante pour moi se met en place. Qui des bedoins vient ravitailler le p'tit boui boui du haut, avec femmes pleines de foulards et enfants piaillants qui tiennent la main de quelques moines venus du monastere de Sainte Catherine en bas, barbus tres beaux, tres sombres et souriants, et en face de moi, des israeliens avec tout l'attirail de ficelles et boite (?) sur le front lisant la priere.  Peux pas m'en empecher, je tente l'ultime photo-symbole, a main levee sans trop oser.
Je vais finir, une fois vraiment rechauffee par redescendre avec les francais de tout a l'heure. Plus facile que la montee, mais tout de meme, surtout apres une autre nuit blanche, ne pas deraper.. ai discute avec un egyptien accompagnateur du fameux groupe de jeunes recrues. Il a fait une partie de ses etudes a Paris. Me dit qu'il veut travailler pour son pays maintenant. Le patriotisme de rigueur. Comment ne pas avoir la foi, foi en ce lieu, foi en soi, quand on vient de voir le soleil se lever sur le desert ? Facile (retourner illico a Eilat...).
Visite express des parties visitables du monastere (vieilles Bibles) et je retombe comme par enchantement sur Said qui devait effectivement peut etre m'attendre mais pas sur (nuit dans la voiture), avec deja 3 israeliens sur la banquette arriere , tous en route vers la frontiere (fameuse Taba pour ses rencontres au sommet), tous plus ou moins la tete dans le cul. Said essaie de me convaincre de passer 2 jours chez des amis Bedoins a lui sur une autre plage du style Diuna, pour fumer l'herbe qu'il a achete la veille. Tentant, mais non. Trop fatiguee, pas le temps. Il me semble avoir plus ou moins promis de revenir l'annee prochaine. Ouai, en tous cas, j'y crois moi, dur comme fer.
Le passage de frontiere se fait avec une facilite deconcertante (pour moi). Une fois de plus, de l'utilite d'un passeport francais en Egypte.   Et donc retour a Eilat, sa fameuse gare routiere, ses hotels impensables, ses galeries marchandes etc.. 4 heures a attendre mon bus pour Jerusalem.
Douche intensement bonne aux trucs publics de la plage publique.  Baignade, soleil sur la plage sur-peuplee. Car. Beau trajet qui passe par l'est du Negev pour ensuite longer la mer morte.  Arrivee a Jerusalem, accueillie par Michel.
 
retour au pli de la vague