VOX
1.
Et pourquoi pas alors?
La question a germé, elle germait depuis longtemps d'ailleurs dans mon
cerveau. C'était la simple extériorisation d'une problématique qui
devenait tellement omniprésente, tellement pesante qu'elle m'atteignait
de plus en plus.
Schizo, back to schizo.
Pourquoi pas? J'avais trouvé pas mal de réponses, toutes aussi ridicules
que les autres, toutes aussi insatisfaisantes. Mais toutes m'avaient
contenté l'espace d'une nuit, d'une heure au moins. La seule chose à
faire était de retourner là bas, dans ce square et de la retrouver. Celà
ne devrait pas prendre trop de temps, je ne l'avais pas enterrée trop
profondément.
Juste ça. Tout ça.
"Et pourquoi pas alors?"
"Il fait trop froid ce soir."
2.
Journée normale, proche d'une normalité. Vu Cyrille fugitivement, passé
deux heures lénifiantes dans une salle de cours. Je ne me souviens plus
si on était trente, vingt, dix ou deux à suivre le cours. Surement
beaucoup trop.
Rentré directement chez moi, un froid glacial est tombé sur la ville
pendant la nuit et les seules rares personnes que l'on croise encore
sont des images, des clichés.
Interzone, Interface.
Intermarché: un enfant a volé un jouet devant moi, il l'a glissé dans
ses chaussettes. Il aurait pu attendre que je passe pour le faire,
j'étais le seul client. Il m'a regardé je crois après qu'il ait tout
dissimulé, mais sans aucune défiance, sans peur non plus. Un regard
vide, juste un de plus, le dernier de la journée je pense.
Interzone.
"Et pourquoi pas?"
"Je suis fatigué."
3.
Comme une clarté insoutenable, le néon s'est ouvert sur mes yeux encore
fermés. Lumière blafarde mais plus puissante que dix miradors. Observé?
Non juste vu, entraperçu. Quelqu'un se sera trompé de porte et sera
entré dans ma chambre. L'image floue, quasi spectrale se redessine, se
reconstruit; au terme d'un effort intense de concentration qui me brûle
les yeux, je semble voir ma voisine de palier.
Elle entre sans faire attention à moi, se débarasse de son manteau. Elle
fixe d'une manière vague et inattentive le lit sur lequel je suis
allongé encore habillé. La musique assourdissante qui se déverse par
flots éruptifs du magnéto semble la gêner plus car elle baisse le
volume au minimum d'un air las. Elle passe de nouveau son regard là où
je suis, là où je suis censé être.
Elle continue de se déshabiller en me tournant le dos, sans faire plus
attention à moi.
"S'il vous plait... vous... vous avez du vous tromper de porte"
Elle se retourne d'un air surpris. Elle est bien en effet la fille qui
loge depuis assez longtemps je crois dans la chambre connexe à la
mienne, la chambre 12 du Relais Motel d'Epinay. Je l'ai déjà croisée la
nuit quand elle rentre tard. Elle me paraît plus grande, plus brune,
plus belle aussi maintenant, alors qu'elle me domine pleinemement
physiquement. Verticalité, horizontalité.
"^Ë Désolée, je pense que c'est vous qui n'avez pas choisi la bonne porte
^Ë Ah. Dans ce cas là, excusez moi...
^Ë Quelle importance çela peut avoir?" me coupe-t-elle d'une voix grave,
d'une voix étonnament fluide pourtant.
"Et pourquoi pas?"
4.
"Dans Portrait de l'Artiste en Jeune Homme, James Joyce fait preuve
d'ironie vis à vis de son personnage, au delà de l'ironie convoyée par
Stephen lui-même envers sa famille, envers les institutions et l'église.
Cette distanciation autoriale nous amène indubitablement à nier la
conclusion comme quoi Stephen est vraiment un artiste en germe, un
artiste dont la seule position est valable...."
Stream of Consciousness... Application directe au réel, du réel au
réel.
Je ne sais pas où elle a dormi cette nuit, peut-être à mes côtés. En
tout cas, ce matin quand je suis parti, elle était là elle aussi, encore
sommeillante, à demi habillée dans la lumière crue du néon. J'ai
rapidement passé ma main autour de son cou pour vérifier son pouls. Il
m'a semblé qu'elle vivait encore.
"... et pourtant on voit clairement que dans le discours long de plus de
trente pages de l'évéque, il y a une saturation idéologique - en
l'occurence celle des jésuites - constante dans le texte. Joyce était,
comme il l'admettait aisément, un farouche adversaire de cette
saturation et, à voir le pauvre Stephen plongé dans ses pensés, on n'a
aucun mal à imaginer quelle est alors la position de Joyce vis à vis de
son héros: il n'en a jamais été aussi proche. Ainsi cette distanciation
auctoriale se trouve contrebalancée par..."
La tour eiffel sur ma gauche attend de décoller; ma voisine doit
m'attendre dans la même position je suppose. Chien couché, sur le flanc,
à jamais horizontale. Plus rien ne sera comme hier soir, rien ne pourra
plus jamais être aussi proche du vide, rien.
Et là bas, sous vingt ou trente centimètres de sable, l'autre doit
toujours être là, résidu royal parmi la fécalité. Pourquoi n'irais je
pas ce soir?
"Elle t'attend sur le lit, elle n'attend que toi. Elle veut refaire
l'expérience du vide, du vacuum, ofvoidness, adin of monstruosity. Elle
croit que tu y parviendras. Fais la croire, fausse le jeu le plus
longtemps que tu peux. Après tu devras retourner là bas, tu le sais, tu
le devras. Et après?"
5.
Elle est bien là en effet, elle m'attend peut-être; de toute façon que
pouvait-elle faire d'autres après une telle nuit?
Un million, une myriade de choses.
"Tu es là?", sa voix a toujours cette même couleur, cette même
rythmique.
"Oui, surement". La chaîne hifi a du se mettre en marche, une fois de
plus, énième itération, toujours ce même morceau répété en boucle. Notes
se brisant à l'infini, contretemps et temps fracassants, catharsis
jamais purgée et pourtant...
Elle me regarde, toujours étendue en chien de fusil. Foetus reconstruit,
horizon brisé. Je me suis allongé pleinement à côté d'elle, romantique
parmi les romantiques, m'exposant d'une façon ultime à la porosité
urbaine. La basse gronde, fait vibrer la vitre.
Nous restons ainsi un instant, des instants. Elle se lève, se déshabille
en me tournant le dos. Vericalité, horizontalité.
Une pensée me traverse l'esprit: ne s'est elle pas hier déjà
déshabillée, n'était-elle pas nue ce matin? Non-question. Impressions ou
surimpressions, elle s'allonge à nouveau nue, redite parfaite, réplica.
Je ne contrôle plus rien. Elle me berne et je le sais.
Il faut que j'aille la déterrer demain; je saurai qui désire, qui fait
acte.
Nuit noire. Série.
6.
Dès que la lumière s'est introduite dans les fentes des volets en
plastique de ma chambre, je me suis levé. Elle dormait toujours, mais
que faisait elle une fois que j'étais parti? Elle ne pouvait pas rester
ainsi dix ou douze heures durant, ce n'était pas possible. Pourtant
quand j'étais rentré hier, elle était dans la même posture. Elle mentait
et je me fourvoyais. Qu'importe, aujourd'hui était le dernier jour, le
jour où le tout redevenait le tout.
Je me suis regardé dans le miroir de la réception avant de partir: je
n'avais pas du me raser depuis une ou deux semaines, mes cheveux avaient
dépassés le stade où ils semblaient sales; j'étais d'allure respectable
mais n'importe qui aurait senti que quelquechose clochait, manquait.
En sortant j'ai directement obliqué vers la gauche, vers la rue
principale où se trouvait le square. Quelques tablettes vides de
médicaments trainaient dans le caniveau, surement une pénurie d'héroine.
Un junkie était affalé sous le porche d'un immeuble, recroquevillé sur
lui même, un vieux papier de fast-food sous sa tête.
Junkfood. Interzone.
Quand j'ai atteint le square, j'ai eu une impression soudaine, comme si
le vide dans lequel j'évoluais se trouvait rempli brusquement par un
trop-plein nauséeux, par une surabondance malsaine. Je me suis repris et
j'ai dirigé mon regard vers le bac à sable: un enfant jouait sous les
yeux mornes et désabusés de sa mère ou de sa nourrice. Je me suis
approché et me suis assis à l'autre bout du banc de la femme. Ses yeux
disaient clairement que sa dernière bouffée de krack devait remonter à
assez longtemps, juste assez pour qu'elle ait ce désir immense de fumée
blanche, mais pas au point qu'elle ne puisse plus se contrôler.
L'enfant, indifférent, mettait ses mains pleinement dans le sable du
bac, fouillant fièvreusement comme si sa vie en dépendait.
Elle en dépendait. S'il fouillait trop...
7.
"Non!" La femme s'est mise brusquement à s'énerver contre l'enfant qui
salissait ostentatoirement son pantalon de toile beige. "Tu arrêtes
maintenant, on rentre."
"Mais maman, maman, je veux jouer dans le sable!"
"On reviendra demain chéri, on doit rentrer, j'ai des choses à faire"
Elle l'a pris par le bras, le faisant sortir du cercle quasi-magique
formé par le sable. Elle devait sentir que dans moins d'une heure
l'envie de krach serait impossible à dominer. Il fallait qu'elle rentre
et qu'elle brûle le caillou blanc; il fallait que son fils ne la voit
pas dans cet état second d'esclavage psychique; il fallait... Et de
toute façon ils reviendraient, alors à quoi bon rester là à sentir le
manque arriver.
Ils ne reviendraient jamais dans ce square pourtant.
Quand je me suis dirigé vers le sable après avoir mis des gants, il n'y
avait plus personne aux alentours, juste des immeubles à perte de vue,
des barres verticales, s'élevant haut mais pas assez, trop près du réel,
trop loin de l'infini. J'ai fouillé au centre, dix, vingt, trente
centimètres. J'ai vu sa main et j'ai tiré doucement. Tout son corps
m'est apparu: son visage n'était pas abimé par ce séjour prolongé et il
y avait même encore l'épingle à nourrice qui tenait sa jupe,
parfaitement mise. Elle a transpercé le gant quand j'ai voulu la
déshabiller complètement avant de la mettre dans un sac poubelle que
j'avais roulé dans ma poche. Du sang est tombé sur le sable, goutelettes
infimes tachetant la mémoire rocheuse; j'ai pressé mon doigt pour
renouveller cette marque, pour laisser une trace éphémère. Le flux s'est
accéléré pendant un instant puis s'est tari. Je l'ai bien emballée dans
le sac que j'ai fermé soigneusement. Dans le trou béant j'ai remis les
habits, elle n'en aurait plus besoin, elle n'aurait plus froid; puis
j'ai remis tout le sable vierge pour combler la vacuité de sa mémoire,
de nos mémoires. Seules les goutelettes de sang imprimées sur les grains
sablonneux attestaient de mon acte.
Ils ne reviendraient jamais dans ce square. A moins qu'on ne les y
force.
8.
Quand je suis rentré elle n'était plus là, plus à sa place tout du
moins. Tout ce que je trouvais était un lit défait et vide avec un mot
où était griffoné "Je (ne) reviens (pas), barrez la mention inutile". Je
n'ai rien barré. Elle est revenue une heure plus tard je crois. Nous
avons recommencé comme le premier soir, le même artefact de vide.
Pourtant, en plein milieu, j'ai regardé le sac poubelle qui gisait dans
un coin, encore tacheté par des grains de sable. Lunaires lumières,
interfaces stellaires. J'ai pensé à ce sang laissé, à cette énergie
perdue mais qui revenait automatiquement, biologiquement. L'homme est
fait pour saigner, pour perdre et regagner, pour détruire et
reconstruire, pour élaborer à partir de chaotations. La question pour
moi était de savoir jusqu'où l'on pouvait saigner sans que celà soit
irrémédiable, jusqu'où le corps pouvait reconstruire. Je me suis
approché de son oreille pour le lui demander:
"Je ne sais pas. Celui qui sait n'est plus vivant. Celui qui sait n'est
même pas mort. Si tu transgresses impunément une limite alors ce n'en
est pas une; si tu en meurs tu ne peux plus dire où elle se situe. Il
n'y a pas de limites en fin de compte; il y a juste la mort d'un côté et
l'ignorance de l'autre."
Durant cette sentence, elle avait gardé ce ton monocorde et rauque que
j'avais remarqué dès la première fois où je l'avais rencontrée; elle
n'avait pratiquement pas bougé non plus, juste ouvert et fermé les yeux
de façon quasi quantique. Je me suis détourné sans un mot. Demain nous
irons au cirque.
9.
Les journaux en avaient fait leur une le lendemain matin. J'étais
simplement abasourdi par le fait que quelqu'un avait pu me voir le jour
précédent dans le square. L'enfant peut-être, surement pas sa mère qui
devait avoir trop à penser pour se maitriser.
En tout cas, le Parisien titrait "Meurtre dans un bac à sable" et le
Figaro "Du sang sur le sable: des restes humains trouvés dans un square
d'Epinay sur Seine". J'avais vu ça en descendant du motel vers l'aube
alors que je cherchais désepèrément du vent, n'importe quel mouvement
d'air qui aurait pu me faire oublier cette nuit difficile. Le kiosque
situé à l'entrée de l'aéroport adjacent au motel venait surement de
recevoir les journaux du jour. Les titres étaient en lettres capitales,
incontournables, se dressant comme les parangons de la morale. J'ai
acheté le Parisien, première page, photo noir et blanc, monde en
négatif: un homme de taille moyenne (environ 1m75) avait été aperçu en
train de retirer quelquechose du sable en milieu d'après midi; celà
avait excité la curiosité d'une personne qui avait alerté la police; les
forces de l'ordre étaient arrivées en la personne d'un ilotier qui avait
remarqué des taches de sang nombreuses sur le sable et, pensant à un
animal blessé, avait retourné le sol. Au delà des déchets fécaux, il
avait découvert des habits d'enfants ensanglantés ainsi que des lambeaux
de corde brunie par du sang séché. Le journal concluait sur le fait que
tout laissait à penser que le meurtrier avait du enterrer sa victime
dans le sable précipitamment après l'avoir agressé dans le square même
et qu'il était revenu sur les lieux du crime pour récupérer le corps,
ultime perversion, ou dérisoire repenti.
Où étaient les restes humains? Nulle part. Il n'y avait pas de restes
humains pour la simple et bonne raison qu'il n'y avait pas d'humain...
Je n'y pouvais rien si la poupée que j'avais enterrée une semaine plus
tôt dans le bac à sable du square avait appris à saigner.
Cognition, déterrioration.
10.
Pimbo le clown.
11.
De retour du cirque d'Epinay, nous nous sommes arrêtés sur un trottoir
le long d'un immeuble HLM. Elle s'est assise droite; elle avait encore
dans ses yeux les lumières blafardes qui règnaient sous la tenture
foraine. Numéros imparfaits, rires puérils feints, sable souillé... tout
y était encore, véritable abécédaire d'un monde parallèle, d'un monde
miroir. Je l'ai regardé avec plus d'attention mais elle s'est lassée et
s'est relevée.
Fin du jeu.
Je n'ai pas eu le temps de voir Pimbo le clown. Peut-être demain, ou
même cette nuit elle me permettra de revoir, de revivre, de mourir
encore dans ce vide forain.
Elle marche assez vite désormais et je la suis au même rythme d'une
façon automatique, machinique. Nous arrivons au Motel que l'on distingue
grâce aux deux néons verts situées sur sa façade.
Sur la droite, le kiosque à journaux est encore ouvert; elle a vu les
titres, elle sait, elle croit savoir au moins. Et pourtant elle ne dit
rien. Rien ne me dit qu'elle a appris à saigner. Il faudra que je lui
demande. Elle me répondra, d'une manière ou d'une autre. D'une manière
ou d'une autre.
A, B, C, D, E, F, G, H, I, J, K, L, M, N, O...
12.
Une fillette est assise sur le rebord du lit quand nous arrivons; elle
récite d'une voix monocorde l'alphabet, scolairement, méticuleusement.
A, B, C, D, E, F, G, H, I, J...
Elle a détourné son regard un instant puis elle a continué comme si nous
n'étions jamais arrivés. Dans ses yeux fixés sur le vide qui l'entoure,
je peux lire distinctement qui elle est. Elle est ce qu'elle voit, elle
est ce que nous sommes tous. Fracture, entité schismique sans gravité.
Je lui demande pourtant son nom: "A, B, C, D, E, F, G, H, I, J, K, L, M,
N, O, P, Q, R, S, T, U, V, W, X, Y, Z". Elle se lève quasi
instantanément tout en continuant son monologue sans fin. L'aion s'est
levé; elle part doucement.
Nous nous couchons tous deux, dans la légère ligne incurvée laissée par
la fillette sur le matelas.
Alors qu'elle repose sans mouvement à côté de moi, elle prononce vers
les sphères:
"Elle sait car elle est le tout. Tout et rien. Elle est l'enfant du jour
où le tout redevient le tout, où le tout est enfin le rien. Elle est née
du vide comme nous tous mais elle n'enfancera pourtant jamais la
vacuité..."
"Pourquoi?"
"Elle saigne."
13.
Celà doit faire des jours que cette fillette est venue dans la chambre
et a parlé. Des jours passés à naviguer entre des salles trop grandes,
remplies de discours absurdes et des rues vides ou bondées, où chacun
croit que son voisin est celui qui tue, celui que l'on cherche pour
avoir enterré un enfant (des enfants?) dans le square d'Epinay.
Il est recherché. Je suis recherché. Ils ne me trouveront pourtant
jamais car je n'existe pas. Ou alors fugitivement, pendant une fraction
temporelle peut-être. Et si une fois encore des policiers font une
descente dans la chambre du motel où je loge, comme ils l'ont fait
avant-hier, que pourront-ils trouver? Une poupée, ma poupée? Même pas
car je lui ai donnée et elle l'a cachée au chaud entre ses vétements. Je
lui ai dit de la laisser dans son sac plastique, au cas où elle saigne
de nouveau.
Du fait même l'enfant et sa mère qui m'avaient vu au square ne sont plus
sûrs d'eux. Surtout la mère qui visiblement ne tient pas à être mélée de
trop près à la police. Le sergent m'a dit qu'il me tiendrait à l'oeil.
Je n'y crois pas et de toute façon j'ai des impératifs.
Ce soir j'irai lui rendre visite, il faut que je la voie, que je les
voie.
Vox. Forward.
14.
Purification.
Elle m'a ouvert sans même lever les yeux et m'a tout de suite tendu le
sac poubelle au renflement sécurisant. Je l'ai ouvert devant elle,
qu'importe puisqu'elle ne dira plus jamais rien après ce soir.
Elle baignait dans son sang au fond de la poubelle, mare noirâtre et
nénuphar rongé. J'ai détourné mes yeux devant tant de gâchis, elle était
morte maintenant, surement d'étouffement, de trop plein et de vide.
Ses bras n'étaient pas encore désarticulés et je n'ai senti aucune
rigueur cadavérique. Elle avait juste arrêté de saigner et de sa bouche
sortait déjà ce qui avait du faire office de rembourrage, une mousse
jaunâtre, turgescente par tant de sang absorbé.
Je l'ai sorti du sac avec précaution et l'ai passé sous l'eau chaude,
espérant qu'elle saignerait peut-être encore une dernière fois.
Elle n'a pas saigné; gardé le sac encore rempli, l'entreposant sous son
lit; laissé son cadavre dans la douche, elle s'en débarrassera sûrement.
Acquisition. Cognition.
15
Quand je suis sorti, j'ai vu le car de police de l'autre jour arriver
sirènes hurlantes vers le parking. Je suis rentré dans ma chambre, je
leur dirai tout, que c'est de ma faute si ma poupée est morte, qu'ils ne
peuvent rien contre moi pourtant car je sais désormais.
On tambourine à la porte: "Police, au nom de la loi ouvrez!".
Vox.
... leur a dit d'entrer... là maintenant tout autour ... me menottent et
me disent mes droits. Ils veulent m'emmenner, ils disent que...., c'est
faux mais rien....
Je ne la reverrai surement plus. Pause infinie, vide linéaire.
Vox, reward.
Jérôme Schmidt Octobre / Novembre 1997.
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